LA RECAMPADO
Les 40 ans de la Recampado
40 ème anniversaire du C.A.F.C.
Contribution de Mr Jean louis ROUDIL magistrat honoraire
Pour toute personne l’avancement dans l’âge est source de tracas mais constitue, aussi, un avantage car il permet un regard rétrospectif sur l’évolution des choses et des institutions ;
Le quarantième anniversaire du centre associatif familles en crise, la « Récampado », est ainsi l’occasion de vous faire part du regard rétrospectif que je porte sur l’évolution du droit de la famille et de nos pratiques, c’est à dire le point de vue d’un simple praticien du droit, qui fut Juge aux affaires matrimoniales ( JAM) puis juge aux affaires familiales ( JAF), tant de première instance que d’appel .
Il faut ici rappeler que l’autorité parentale n’a pris la place de la « puissance paternelle » qu’en 1970, que l’égalité entre les modes de filiation remonte à 1972, et que le divorce par consentement mutuel, sur double aveu, ou pour rupture de la vie commune, n’est apparu que le 11 juillet 1975.
Cette dernière loi, qui créait le JAM, prescrivait au juge, lorsqu’il était appelé à statuer sur l’attribution de la garde d’un enfant, de tenir compte des accords passés entre les parents, des enquêtes sociales et des sentiments exprimés par les enfants, si leur audition avait paru nécessaire et sans inconvénient pour eux, et, de manière plus générale, « de leur intérêt ». Ce texte opérait la dissociation tant attendue entre l’attribution des torts conjugaux et celle de la garde de l’enfant.
Ces réformes législatives s’inscrivaient dans une évolution marquée par le fait que chacun, à titre personnel ou professionnel, était désormais « influencé » par la psychologie et la psychanalyse qui prenaient une place prépondérante dans l’approche et l’analyse des rapports familiaux.
C’est dans ce contexte que s’inscrit, en 1983 à Aix en Provence, la création de l’association familles en crise, sur l’initiative conjointe de magistrats et d’enquêtrices sociales qui avaient constaté que le divorce ou la séparation parentale induisait trop souvent l’effacement, volontaire ou subi, des pères.
L’objectif associatif retenu était donc de rechercher les moyens de renouer les liens rompus.
Comme il n’existait aucun moyen juridique pour y procéder, l’association s’est d’abord attachée à modifier la pratique de l’enquête sociale en la faisant évoluer, du simple constat factuel d’une situation sociale, vers un travail dynamique propre à permettre l’expression de la parole des parents et des enfants, et à rechercher, par ce moyen, une solution positive tournée vers le maintien ou la reconstruction du lien et l’ouverture d’un dialogue entre les parents ;
Les difficultés rencontrées dans les cas les plus problématiques.ont conduit l’association à créer en 1986 un espace de rencontre ( le deuxième en France ) pour les gérer.
C’est ainsi qu’une fructueuse et exemplaire collaboration s’est développée entre le tribunal et la Récampado. Elle a permis d’offrir aux justiciables un accueil humain et une écoute attentive.
Dans la pousuite de ce même objectif, l’association a ensuite, très naturellement, développé son activité dans le domaine du conseil conjugal, de l’écoute familiale, de la médiation familiale naissante, des interventions en milieu carcéral, où elle a organisé des visites entre des enfants et leurs parents incarcérés, et enfin de l’organisation de visites au bénéfice d’enfants confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance.
Là où, à l’origine, il n’y avait rien, la Récampado a ainsi mis en place, sur une période de quinze ans, de larges possibilités de prise en charge des situations conflictuelles, tournées vers la conservation des liens entre enfants et parents, malgré la séparation. Les familles en étaient bénéficiaires, mais aussi les magistrats qui disposaient des moyens d’adapter leurs décisions et de les faire exécuter.
L’associaton a toujours cherché à articuler le juridique et le psychologique en construisant un cadre de travail, sans cesse requestionné, pour répondre aux besoins de la justice tout en préservant la possibilité de réaliser un travail psychologique ;
Les services créés par la Récampado se sont pleinement intégrés, quand ils ne les ont pas précédées, aux innovations législatives qui ont marqué cette époque comme la loi de 1987 ( dite loi MALHURET) sur la « résidence habituelle » de l’enfant substituée à « la garde », la convention internationale des droits de l’enfant ( ONU) du 20 novembre 1989, la loi du 8.1.1993 créant le JAF, la loi du 4 mars 2002 sur l’exercice en commun de l’autorité parentale, étendu aux enfants « naturels », et l’audition de l’enfant en justice dans les affaires le concernant ( article 388-1 du code civil – issu de la même loi ).
Ces services répondaient, aussi, à ce que l’on pourrait appeler la « contractualisation » des rapports entre parents en voie de séparation, encouragée par l’institutionnalisation et le développement de la médiation familiale.Il faut rappeler que cette contractualisation a été mise en avant comme le meilleur moyen de « déconflictualiser » les séparations et de « déjudiciariser » ces conflits.
La pertinence de ces services a été reconnue par la loi du 5 mars 2007 qui a réformé les modalités de l’exercice de l’autorité parentale et a prévu la possibilité de fixer l’exercice d’un droit de visite « dans un espace de rencontre désigné par le juge ».
Pour autant des résistances sont apparues qui ne peuvent être négligées.
Ainsi, un mouvement doctrinal s’est-il appuyé sur le analyses du professeur de pédo-psychiatrie Maurice BERGER qui critiquait sévèrement notre système de prise en charge des enfants par les services de l’aide sociale à l’enfance en ce qu’il privilégiait systématiquement le maintien du lien entre enfants et parents alors que, selon lui, dans nombre de cas une rupture assumée eût été préférable pour l’enfant ( voir sa chronique « le placement, et après ? » dans la gazette du palais du 10-11 juillet 2005, son ouvrage « les séparations à but thérapeutique » et ses réflexions sur « l’idéologie du lien »).
Mme le professeur de droit NEIRYNCK a également affirmé que ( citation ) «_ la médiatisation du droit de visite en assistance éducative évite au juge de trancher entre la protection de l’enfant et le droit des parents, alors que leur comportement imposerait une mesure beaucoup plus grave _( entendre le retrait de l’autorité parentale )_…le juge se contente de mettre les enfants à l’abri auprès des services sociaux qui se voient confier les droits confisqués aux parents _». Ce professeur ajoutait : «_ La médiatisation permet de maintenir un lien entre l’enfant et son parent sans rechercher quel est son contenu réel et son incidence sur l’évolution de l’enfant protégé _».
Ces prises de positions tranchées reposent sur une conception de l’intérêt ( supérieur ) de l’enfant différente de celle le plus souvent admise, ce qui peut se concevoir dans la mesure où le législateur n’a jamais défini le « contenu » du concept « d’intérêt de l’enfant » ( voir les réflexions du Doyen CARBONNIER qui qualifiait cette notion « d’insaisissable » )
Pour Mme NEIRYNCK le juge ( J.A.F. ou juge des enfants ) qui ordonne un droit de visite médiatisé signifie qu’il souhaite le maintien d’une relation familiale mais également qu’il se méfie de celle-ci et préfère la limiter. Elle déclarait : « _au lieu de trancher cette contradiction en optant franchement pour une branche de l’alternative il choisit la solution qui lui permet de ne pas trancher… comme dans l’hypothèse du divorce, le succès de la médiatisation masque le recul du droit et une évolution du rôle du juge devenu le garant du lien parent-enfant, sans que l’on s’interroge, ni sur le contenu, ni sur l’utilité d’un tel lien _». ( voir son article « les services sociaux face à la médiatisation du droit de visite » dans la revue « droit de la protection sociale » de septembre 2009 ).
Cette charge était rude, mais elle avait le mérite de remettre en cause une pratique qui pouvait être considérée comme une évidence, et de renvoyer les praticiens à effectuer une évaluation plus rigoureuse de leurs pratiques, spécialement judiciaires ;
Ces résistances ont été encouragées par la problématique des violences au sein des couples, question qui a pris récemment une ampleur considérable, et dont la conséquence a été d’envisager la séparation sur un mode beaucoup plus radical, mettant notamment en cause le maintien du lien entre les enfants et le parent considéré comme violent ( ordonnance de protection ou d »éloignement créée en 2010 etc…). Il faut avoir présent à l’esprit le fait que le gouvernement se propose de parvenir à la délivrance d’une ordonnance de protection dans un délai de 24 heures…
Elles ont également ressurgi avec la problématique de la maltraitance des enfants et des abus sexuels dont ils peuvent faire l’objet dans le milieux familial.
Les situations dans lesquelles était diagnostiqué un syndrome d’aliénation parentale ( théorisé par le psychiatre américain Richard GARDNER à la fin des années 1980) ayant entraîné l’éviction d’un des deux parents par le comportement anormalement possessif de l’autre, soit le plus souvent l’éviction du père par une « mère possessive, fusionnnelle et aliénante », appelant un difficile travail de restauration des droits de ce parent, sont désormais présentées comme le déni ou l’occultation de faits incestueux, et comme procurant une protection anormale au parent fautif.
Ce concept de syndrome d’aliénation parentale est actuellement contesté en tant que tel, et les mères « possessives » exigent d’être reconnues dans un rôle de « mères protectrices », dont la parole doit nécessairement être crue si l’on veut véritablement lutter contre le phénomène incestueux.
L’excès prêterait à sourire si la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles (C.I.I.V.I.S.E. – présidée par le juge des enfants Edouard DURAND) , dont les travaux sont clairement encouragés par les pouvoirs publics, n’allait pas dans ce sens en affirmant que ces accusations de maltraitance, nombreuses et généralement négligées, correpondent à la réalité dans presque tous les cas, et en envisageant de préconiser, compte tenu de l’urgence et par précaution, la suspension « de plein droit » l’exercice de l’autorité parentale ( droit de visite compris ) des parents dénoncés comme maltraitants, sur la base de cette simple plainte et sans attendre les investigations d’un juge.
On retrouve ici le retour de l’affirmation selon laquelle la parole de l’enfant doit toujours être crue et qu’elle ne pourrait être manipulée, malgré les enseignements qui avaient été tirés de la triste affaire d’OUTREAU.
Dans ses premières conclusions la C.I.I.V.I.S.E. a également préconisé l’intrauration d’une protection des mères dénonciatrices contre l’accusation de manipulation dans la mesure où elles sont prises entre deux injonctions contradictoires à savoir, d’une part, celle de protéger l’enfant et, d’autre part, l’obligation de le remettre à son père titulaire d’un droit de visite et d’hébergement. Cette protection passerait par la suspension de ce droit de visite et d’hébergement pendant « le temps de l’enquête » et, par contrecoup, la mise à l’abri de la mère des plaintes pour non représentation d’enfant.
Compte tenu de la place prise dans l’opinion par la question des violences « conjugales » et des maltraitances intra-familiales subies par des enfants, il y a lieu de craindre une remise en cause du patient travail de restauration du lien entrepris par les associations comme la Récampado depuis maintenant quarante ans …
Jusu’où ira cette remise en cause ? qui vivra verra ! Mais, à mon sens, il ne faut en aucune manière se décourager ou renoncer !
En revanche ces contrecoups devraient conduire à procéder un travail d’analyse approfondi qui a, peut-être, été négligé, tant chez les magistrats que dans nos associations, au profit de l’innovation et de l’action.
On vérifie ainsi que la marche vers le progrès n’est jamais linéaire, que, parfois, des régressions peuvent se produire, et qu’il faut toujours remettre l’ouvrage sur le métier !
Jean Louis ROUDIL président de chambre (honoraire ) de la cour d’appel de Nîmes